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Photo du rédacteurCatherine Rey

La langue maternelle

Dernière mise à jour : 13 juin 2022


Jean Dubuffet - " La campagne heureuse "
Jean Dubuffet - " La campagne heureuse "

Le premier texte littéraire que j’ai écrit et publié en anglais date de 2013, seize ans après être m’être installée en Australie. C’est un travail qui m’avait été commandé par Kent Mac Carter pour une anthologie qu’il publia sous le titre Joyful Strains. L’ouvrage réunissait des textes d’auteurs qui vivent en Australie et écrivent en anglais. Nous avions tous en commun d’être nés à l’étranger. Nos origines étaient diverses. L’âge auquel nous étions arrivés en Australie variait. Certains avaient émigré ici encore enfants avec leur famille, ce qui leur avait permis de suivre une scolarité en langue anglaise. Les autres étaient arrivés à l’âge adulte. Je faisais partie de cette dernière catégorie.


Je suis restée seize ans sans écrire de texte littéraire en anglais. Je parlais l’anglais, bien sûr. Parler m’était indispensable si je voulais gagner ma vie. À l’université, j’enseignais et j’écrivais mes cours en anglais. L’anglais est la langue véhiculaire grâce à laquelle je communique. Mais à part ça, on peut se demander pourquoi j’ai attendu seize ans avant d’écrire un texte an anglais. La vérité, c’est que j’ai continué d’écrire dans ma langue maternelle nourrie de l’illusion que j’allais continuer d’être publiée en France, que je trouverais un traducteur et que mes livres sortiraient ici, en traduction anglaise. On se fait toujours des illusions avant que la réalité ne vous rattrape brutalement. Je parle un anglais correct, je pense, mais entre l’anglais que je parle et l’écriture de Virginia Woolf, de Patrick White ou de Dylan Thomas, il y a tout un monde. D’un côté, on balbutie une langue pour communiquer et de l’autre se dresse la citadelle d’une langue littéraire dont il faut non seulement comprendre l’histoire et la complexité, mais aussi appréhender émotionnellement et physiquement les subtilités jusqu’à ce qu’elle vous pénètre jusqu’à l’âme. Ou pour faire un parallèle avec le modèle linguistique de Henri Gobard, cité dans l’essai de Deleuze et Guatarri, Kafka,Pour une littérature mineure, je dirai qu’embrasser la langue littéraire du pays d’accueil, c’est adopter dans le même geste les quatre caractéristiques linguistiques décrites par Henri Gobard : le niveau vernaculaire, véhiculaire, référentiel et mythique. (À ces quatre qualités, j’ajouterai l’aspect poétique.) Quatre caractéristiques dont la complexité m’échappait. Le français était ma maison, mon unique repère dans un pays où je me suis longtemps sentie aliénée. Et puis le français était l’outil que j’avais peaufiné pendant des années. J’avais mis longtemps à savoir bien écrire, maîtriser mes subjonctifs présents et passés, collectionner les mots rares, les constructions alambiquées, les phrases à tiroir, les métaphores étonnantes, les tics de langage qui me sauvaient quand je voulais donner du piquant à mes phrases. Je me sentais bien dans ma langue, pourquoi est-ce que je l’aurais quittée ?


Andrew Riemer, puis Julie Rose, traduisirent deux de mes livres. Et puis, les choses ont basculé étrangement. Les éditeurs vous lâchent. Ça arrive souvent dans une vie d’écrivain. Et en 2005, je me suis trouvée sans éditeur. À la distance géographique -Paris est quand même très loin- s’ajoutait la distance existentielle. Nous n’étions plus sur la même longueur d’onde. Faute de texte, aucun éditeur n’envisageait de nouvelle traduction. Et seize ans ont passé. J’ai continué d’écrire dans ma langue. Écrire, c’est mon métier. Je continuais d’écrire pour rien. De noircir du papier pour rien. Autour de moi, les gens me demandaient ce que je faisais dans la vie. Aux gens qui me posaient la question, je répondais que j’étais professeur vacataire à l’université et écrivain. Ils s’étonnaient, pianotaient mon nom sur Google : deux petites choses apparaissaient sur l’écran. Le malheur, c’est que ce qu’on disait de moi, à part le paragraphe rédigé en anglais sur le site de l’université où j’avais enseigné, était écrit dans une langue que personne ne comprenait. Un vernaculaire parlé dans un petit pays de l’hémisphère nord situé quelque part au sud-est de l’Angleterre et qui se nommait la France. Après quelques années de ce jeu cruel, un échange dont je sortais toujours défaite, humiliée, frustrée, j’ai constaté que les sourires se faisaient plus tristes. Il y avait des silences : « Allez, semblaient-ils dire, il est temps de passer à autre chose ! Arrête de remâcher tout ça. C’est du passé. Tu te fais du mal. » Le doute s’est installé. Pour ne pas voir la suspicion grandir, pour ne plus entendre ceux que je croisais me lancer avec enthousiasme lorsque je leur disais que j’étais écrivain : « ah, vous écrivez ! Moi aussi, j’écris ! » j’ai complètement cessé d’en parler. Je me suis contentée de dire que j’enseignais le français à l’université comme professeur vacataire. Ce qui était la vérité. Parce que c’est ça, être un immigré. Votre passé pèse et continue de peser ; mais pour les autres, ceux du pays d’accueil, le passé n’existe pas. L’immigré n’a pas de passé. Et même quand la vie d’avant a duré quarante-et-un ans, elle ne pèse pas plus lourd pour autant. Et même quand la vie d’avant a été riche en événements, en publications, en prix littéraires, ou riche en diplôme durement acquis, en expérience professionnelle, elle ne représente rien. Qu’on soit arrivé en Australie à dix ou à quarante-et-un ans, ne fait aucune différence. Avant n’existe pas. Qu’on soit arrivé ici avec un certificat d’études ou avec une longue expérience d’avocat pénal, ne fait aucune différence. La vie d’avant n’existe pas. Pour beaucoup d’entre nous, diplômés dans un autre pays - professeurs agrégés, infirmières, dentistes, avocats, vétérinaires, la liste est longue- il a fallu retourner sur les bancs de la faculté et repasser nos examens, c’est-à-dire obtenir les diplômes en langue anglaise validés ici, en Australie. Vivre dans un pays d’accueil, c’est naître au moment où on y a mis les pieds. Comme si on était sortis de terre dans la nuit. Mon passé était effacé. Car le passé de tous les étrangers qui arrivent ici à l’âge adulte est oblitéré. Bien sûr qu’on voudrait dire : « Attendez ! J’avais une vie avant, alors ne me dites pas de tourner la page, ne brûlez pas ma mémoire, ça fera un trou dans ma vie. Les années où j’ai existé là-bas pèsent autant que celles où j’existe ici. Et puis, là-bas, j’ai une famille, des amis, des cimetières où sont enterrés mes morts. Là-bas, il y a des gens qui me connaissent. Si vous me posez des questions, je pourrais vous y répondre, vous savez. Je vis ici, mais chez moi, c’est là-bas. » La plupart des gens ne posent pas de questions. Savoir d’où on vient ne les intéresse pas. Et si l’étranger, heureux de pouvoir parler de son pays, en parle trop longuement, il finit vite par agacer. Alors, l’étranger préfère se taire.


Trois ans après être arrivée en Australie, j’ai commencé la rédaction d’une thèse sur des auteurs qui avaient changé de langue, un sujet qui me tient à cœur depuis longtemps. J’ai travaillé sur l’œuvre de trois grands auteurs qui, après s’être installés en France, ont abandonné le tchèque, le roumain et le russe pour adopter le français comme langue de création littéraire. Quand j’y pense aujourd’hui, je me dis que j’ai eu une pensée malheureuse -mais tout à fait involontaire- en écrivant ce travail : j’ai cru au choix. J’ai cru que Milan Kundera, Emil Cioran et Andreï Makine avaient eu le choix. Trois ans dans un pays étranger ne m’avaient pas encore donné le recul nécessaire pour comprendre que la vie après n’est plus jamais comme la vie avant.


Milan Kundera né en 1929 à Brno est arrivé en France en 1975, sept ans après que son pays fut passé sous domination russe. Exclu du Parti Communiste en 1970, considéré comme dissident, il perdit d’abord son poste d’enseignant. Son nom fut ensuite effacé des registres. Ses livres disparurent des librairies et des bibliothèques. Son identité fut annihilée. Sa mémoire, réduite en cendres. Une fois en France, il a continué d’écrire en tchèque. Il a également passé plusieurs années à retraduire ses textes du tchèque au français avec l’aide de Claude Courtot, son traducteur. Le français, il le parlait. Il l’écrivait, bien sûr, à commencer par la rédaction de ses cours de littérature à l’université de Rennes puis à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, sans compter les nombreux articles qu’il a rédigés. Kundera a enseigné longtemps pour gagner sa vie. Mais en 1993, le jour où il a pris le risque d’écrire un roman en français, Kundera n’avait pas le choix d’écrire dans la langue de son choix, ainsi que je le croyais. Il a écrit en français par obligation. Son premier livre en français publié en 1995 avait pour titre La lenteur. Il est rédigé par un écrivain de soixante-six ans, une réalité qui me fait soudain l’effet d’un électrochoc, dans le français d’un homme qui embrasse une langue avec prudence et lentement. Les critiques furent sanglantes. Son nouveau style fut qualifié de raide, pauvre, atone, desséché, banal. Mais la remarque qui fait le plus mal est celle-ci -elle fut écrite par un journaliste très critique du roman de Kundera par ailleurs, une phrase cruelle : « ce n’est pas facile de changer de langue. » Une phrase qui blesse, non pas tant par sa stupide platitude, que par tout ce qu’elle implique d’ignorance, tout ce qu’elle dit de l’abîme entre ceux qui parlent et écrivent la même langue depuis toujours et ceux qui doivent trouver d’autres mots pour continuer d’exister, de vivre, d’être visible, d’être crédible. Car tout écrivain émigré atteint toujours ce moment déchirant où il se voit forcé d’abandonner le dialecte que personne ne comprend s’il veut survivre en tant qu’auteur, en tant qu’être humain, en tant que voix. Et surtout, pour surmonter la frustration, sublimer l’amertume et le sentiment grandissant de ne pas y être arrivé, et décider d’être une bonne fois pour toutes considéré comme un, entier, non plus comme une identité coupée en deux mais à la fois passé et présent. Kundera a passé dix-huit ans dans ces limbes où restent parfois embourbés les écrivains qui vivent entre deux langues ; un entre-deux où se mêlent l’effroi qu’on ressent devant une langue étrangère car l’on sait qu’en l’adoptant comme nouvel outil de travail, on va obligatoirement y faire des fautes souvent grossières, la honte d’avoir à demander de l’aide autour de soi, l’embarras d’avoir à vérifier trois fois l’orthographe d’un mot dans le dictionnaire, le doute constant qui plane sur tout ce qu’on écrit -et parfois sur ce qu’on dit- car on n’est plus maître dans son propre royaume, la peur que la critique littéraire vous décapite en vous accusant de ne pas savoir écrire et vous hurle de rentrer chez vous, injonction dont Kundera fut la victime.

Il m’a certes fallu des années pour prendre conscience de la déficience de mon raisonnement initial, bien involontaire ainsi que je l’ai dit, ignorante que j’étais d’une cruelle réalité que seul le temps allait m’enseigner. La question du choix ne se pose pas. On ne choisit pas d’écrire dans une langue étrangère quand cette langue se trouve être la langue du pays où l’on a été accueilli. La prise de conscience eut lieu lorsque je fus moi-même forcée d’écrire dans une langue étrangère. Avec les années, je me suis vue disparaître. Je n’existais plus en tant qu’auteur. Ma langue maternelle était devenue aussi inutile qu’un vieil outil qui rouille au fond du garage mais qu’on hésite à jeter parce qu’il vous rappelle de bons souvenirs. J’avais le sentiment d’être prise dans des sables mouvants. Les jambes s’étaient enfoncées jusqu’aux genoux, et puis jusqu’aux hanches et au torse, il ne restait que les mains. Il n’y avait qu’une chose à faire : attraper une langue qui n’était pas la mienne, comme une corde qu’on m’aurait tendue. La langue anglaise était la seule corde qui me sauverait. Car j’étais dans l’impossibilité de ne pas penser, l’impossibilité de me taire, l’impossibilité de ne pas écrire. Il me fallait donc passer à l’anglais pour accéder à la publication et être enfin entière, passée et présente. Et voilà, j’ai attrapé cette corde. J’ai pris la langue dominante et j’ai écrit dans la langue dominante. Mon patois, je l’ai laissé à la maison. Bien des années plus tard, j’ai compris qu’une étape du processus m’avait échappé : la douleur d’avoir à renoncer à sa langue maternelle. « Non, ce n’est pas facile de changer de langue. » Cette petite phrase qui n’a l’air de rien résonne cruellement dans le cœur des écrivains émigrés. J’avais écrit : ils ont abandonné leur langue maternelle, j’avais choisi le mot « abandonné » plutôt qu’un autre. J’avais moi-même commis une erreur. Est-ce que je savais à quel point l’acte d’abandonner est douloureux ? Non, je ne le savais pas. L’inconfort dont je faisais l’expérience me pesait -car le processus d’apprentissage d’un anglais littéraire est long, pénible, et passé un certain âge, tout devient plus difficile, plus lent, plus confus. Quoi que je fisse, l’écart schizophrène entre moi et moi ne s’effaçait pas, sensation écœurante car un œil vous regarde, c’est l’œil de la langue étrangère. Il juge. Il doute. Il condamne. Il ricane. Après trois ans dans un pays étranger, je n’avais pas assez de recul pour prendre conscience de la diabolique hiérarchie des langues. À savoir que la mienne, la langue française, la langue officielle des cours d’Europe au 18ème, était réduite au rang de dialecte. De patois. Bien sûr, il y avait eu Babel, je m’en souvenais. Les hommes avaient été punis d’avoir construit une tour d’orgueil. Ils avaient été éparpillés sur la terre. La langue unique avait éclaté en mille langues différentes. Les hommes ne se comprenaient plus sinon par gestes, par grognements, par coups de poing, par affrontements. Ils n’avaient plus de langue commune mais le vernaculaire de leur clan. Une langue qu’on ne parlait que dans les limites d’une minuscule terre. Il m’a fallu des années pour comprendre à quel point Babel avait été une tragédie. Peut-être la pire des horreurs. Parce que moi aussi, un jour, j’avais habité Babel et que j’en avais été chassée.


Je lis d’une oreille attentive les auteurs qui ont dû, pour une raison ou une autre, changer de langue. Nous formons une grande famille. Nos histoires sont différentes. Chacun s’invente plus ou moins sa légende ; tout le monde aime bien les belles histoires. Et puis, pour être honnête, il est plus facile d’avoir compilé une jolie légende et de s’y tenir, ça évite d’entrer dans des détails trop douloureux lors des interviews. Cioran s’était inventé sa légende. Makine aussi. Kundera a fait de même. J’ai volontiers cru à leur légende. Elle me plaisait bien. Et puis tous les écrivains réinventent leur passé. On dit qu’on aime la langue du pays d’accueil, qu’elle est supérieure aux autres. Voilà ce qu’on dit. On parle de Proust, de Balzac, ou de Milton et Shakespeare. Et surtout, on apprend à mentir, mentir pour ne pas passer pour un imbécile. On se dit que bien des auteurs y sont arrivés. Conrad, le Polonais, a écrit un anglais extraordinaire. Kafka, le Tchèque, a laissé une grande œuvre en allemand. Cioran, le Roumain, est parvenu à la maîtrise d’un français magnifique. Alors pourquoi pas moi ? Pourquoi les autres y arriveraient-ils et pas moi ? On est un étranger, on a sa dignité, on travaille dur, plus dur, tout est toujours plus dur pour les étrangers. On repense avec humilité à cette note de lecture de Raymond Queneau, lecteur chez Gallimard, qui fait remarquer que Cioran a « amélioré son français. » Une note de lecture si banale pour n’importe quel Français. Une note de lecture si émouvante pour qui sait ce que l’arbre cache de la forêt.


Il nous faut taire la vérité, parce que la vérité c’est que la pensée, l’inspiration, celle qui sort de l’inconscient, de la mémoire, du corps, des entrailles, des racines, de l’enfance, des odeurs, des sonorités, elle vient de la langue maternelle. L’inspiration, c’est la langue d’origine qui la souffle, qui l’aspire, qui la guide, qui l’inspire. Les mots de l’enfance, la première musique qu’on entend, sont ceux qu’on chérit entre tous, ceux dont on comprend toutes les nuances et qu’on reconnaît de loin. Et c’est dans ces mots-là qu’on écrit. Les auteurs ne vous le diront jamais, après tout, ça ne regarde qu’eux, c’est une affaire intime mais on écrit d’abord dans sa langue maternelle. Parce qu’on pense d’abord dans sa langue maternelle. C’est aussi simple que ça. Le reste n’est que bricolage, traduction, aller et retour d’un texte à l’autre, mais l’élan pulsionnel est dans le langage d’origine. Dans celle qu’on a balbutié enfant. Je pourrais dire par exemple que j’aime la langue de Shakespeare, de Woolf, de White, qu’elle est magnifique, que c’est mon modèle, mais je mentirais. Si j’admire intellectuellement l’anglais, si j’aime sa flexibilité, son vocabulaire plein de nuances, sa manière d’embrasser grâce à un seul mot cinq différentes idées, il me reste étranger. Parce que la seule langue qu’on aime d’amour fou, la seule langue où l’on est soi, sans schizophrénie, sans division, sans hésitation, c’est la langue maternelle. Quand j’arrive à Roissy, l’émotion me saisit. L’émotion à l’état brut. Ce n’est pas le sol de ma terre que j’ai envie d’embrasser comme le fait le pape à sa descente d’avion. Ce que j’ai envie de célébrer à Roissy, c’est le français qui éclate tout autour de moi, celui que je n’ai presque jamais l’occasion de parler en Australie, la vraie langue « vernaculaire, maternelle, territoriale », rapide, drôle, argotique, les mots nouveaux qui me sautent à l’oreille, les tics de langage, les gens et leur brouhaha, cette manière qu’ils ont de crier, les enfants, les jurons, les accents, les colères, les insultes, les voix au téléphone, la drôlerie de certaines expressions, le verlan, l’argot que j’aime tant, la vitesse, le débit, les grimaces. Je me souviens avec précision d’une interview d’Eugène Nicole né à Saint Pierre et Miquelon. Il disait en substance « ce n’est pas le pays étranger qui fait l’exil, c’est la langue étrangère. » C’est d’une grande justesse. Les écrivains qui sont ainsi pris entre deux langues, la grande famille de ceux qui vivent entre deux cultures, des écrivains qui ne sont plus de l’une et qui ne seront jamais tout à fait de l’autre, ne vous diront jamais que le manuscrit, le premier jet, la pensée inspirée qui leur vient des cieux, des dieux, des anges, c’est dans la langue première qu’elle vient, toujours dans la langue du corps. Ils ne le diront pas, car c’est leur secret. Il me suffit de dire Roissy, et je revois mon retour, les odeurs, les sons, le croissant trop gras, le serveur pas sympa, normal, il doit être quatre heures du matin, la foule qui passe. Je revois mon émotion, perdue dans un environnement qui n’est plus le mien, grand, froid, bruyant. Ma valise à la main, je reste là, plantée au milieu de la foule, je ne sais où aller, vers la droite, vers la gauche, le Terminal D, c’est où ? Je m’adresse à quelqu’un en français, je suis dans la foule, une parmi des milliers, on me répond en français, je ne suis plus l’étrangère, je redeviens visible, fondue dans ma langue et visible à mes yeux. Redevenue moi.


Otford, 12/03/2022

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